Randonnée au Jabal Milhan

Image26 avril – Nous nous réveillons avec un beau soleil qui inonde la vallée et nous apprécions le panorama dont on jouit depuis le toit, du haut de la montagne sur les routes difficiles qui nous ont permis d'arriver jusqu'ici. Juste au moment où je tripotais les bibelots accrochés au mur, apparaît le cheikh qui en peu de mots nous souhaite le bonjour. Je reste avec une épée dans les mains et je cherche en vain à la raccrocher à son support, mais tout en essayant je fais glisser de son cadre la photo du jeune président derrière le rideau qui sépare la salle de bain.

On nous avait déjà offert une espèce de pain frit savoureux, bien que gras, mais peu après on nous apporte le véritable petit-déjeuner et la pièce se remplit d’hommes. Nous goûtons à quelques petites choses juste pour faire plaisir, après quoi nous prenons congé et nous nous mettons en route.

Dans ce village aussi nous sommes tout de suite au centre de l’attention et un petit cortège se regroupe atour de nous et nous suit curieux. Nous montons par la montagne stupéfaits par la beauté du paysage naturel qui dans les terrasses minutieusement réalisées révèle une présence active de l’homme depuis des temps immémoriales. C’est un jardin d’une élégance unique.

Au fond s’élèvent les sommets aigus en dent de scie et nous devrons atteindre un haut col au dessus de nous pour enjamber dans la vallée à côté. Nous marchons avec un groupe d’hommes entre lesquels un garçon aux yeux vifs et intelligents qui fait retour à son village après avoir vendu son qat au marché. Il parcourt ce chemin, tout à pied, deux ou trois fois par semaine en partant bien avant l’aube. Nous nous arrêtons pour boire d’un tuyau qui fait descendre l’eau d’une source et la porte au village.

ImageUne fois arrivés presque au sommet, quelqu’un nous aperçoit et attend avec impatience notre arrivée. On entend dire : « Ce sont deux étrangers ! Non, trois ! », tel un cri d’avertissement pour la grande nouveauté. Nombre de personnes se rassemble et nous attend arriver, ensuite ils se serrent contre nous, nous invitent plusieurs fois à rentrer dans une des maisons pour boire du thé.

Les fenêtres de cette pièce semblent suspendues sur le vide. On nous apporte à manger même si nous n’avons pas faim, mais nous profitons pour avoir de l’énergie en plus. Nous laissons des raisins secs en remerciement. Nous reprenons la marche et montons encore plus haut. Nous sommes près de toucher les nuages, nous dominons de cette crête de superbes panoramas sur différentes vallée. Les versants sont très raides, mais ceci n’a pas empêché l’exploitation soigneuse de chaque centimètre de terre.

Le temps se gâte quand nous commençons à descendre sur l’autre versant. On nous invite à temporiser dans une maison pour attendre la pluie. Nous sommes perplexes et déjà quelques gouttes tombent, mais nous continuons quand même. La pluie devient intense. Nous retournons sur nos pas pour retrouver un rocher saillant providentiel et nous nous abritons au dessous de lui. Il grêle et il fait froid. Les nuages inondent le ciel, remontent le versant de la montagne qui donne vers la mer, sont envoyés vers le haut, s’élèvent en colonnes d’humidité sombre qui forme des tourbillons, retombent comme des vapeurs diaphanes de notre côté. En l’espace d’une demi-heure cependant le temps est à nouveau propice pour la marche.

ImageA un des villages suivants nous retrouvons le garçon de ce matin. Il dit qu’il nous attendait. Il nous invite chez lui, mais c’est trop près et bas dans la vallée pour faire halte là-bas. Nous préférons profiter de sa parfaite connaissance de la zone pour nous faire donner des renseignements sur la continuation de notre randonnée. Il nous accompagne à une fourche et nous indique le chemin. Pendant la marche il me pose des questions intelligentes et curieuses sur mon pays, entonnées dans l’accent sympathique de cet arabe de montagne.

Nous poursuivons la marche à travers une vallée moins spectaculaire que la première, en coupant à mi-hauteur. Nous rencontrons une jeune paysanne qui se défoule avec nous en se plaignant de sa rude vie et de son mari émigré en Arabie Saoudite.

Au coucher du soleil nous marchons toujours et ne savons pas si nous allons continuer ou chercher abri pour la nuit. Un homme nous invite chez lui. Nous hésitons, puis poursuivons un bout. L’homme nous suit discrètement et réitère son invitation : étant donné que le soleil est descendu nous acceptons. On nous ouvre une pièce dépouillée avec un sol en ciment, deux petites fenêtres et le plafond en roseaux tressés. Il jette deux minces matelas par terre et nous apportes quelques couvertures à l’aspect crasseux. Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau, ni de salle de bain.

La nouvelle de notre arrivée se répand entre le très petit nombre de maisons du hameau et tous entrent pour nous voir. Je compte 35 personnes, bondées les unes contre les autres, assises pour admirer la nouveauté de ces étrangers venus dans un village qui n’en a peut-être jamais vu même de passage ; des étrangers hagards d’une journée de marche et incertains sur la façon de réagir devant tant d’intérêt.

Comme si ce n’était pas assez, Sarah nous prévient bientôt de ce qu’elle est en train de subir pendant que Géraldine et moi nous sommes occupés avec un autre groupe de personnes : une paysanne très entreprenante lui palpe insistamment la poitrine et lui adresse des regards intenses. Elle nous dit de lui passer tout de suite la couverture qui, pour sale qu’elle soit, lui permettra de s’envelopper et faire un écran. Empressement on nous apporte du pain et une gamelle avec deux petits poissons submergés dans une huile rougeâtre pour tremper. Ensuite arrive le narguilé et il fument pendant qu’il jouissent de ce changement inattendu dans la routine du village.

Une femme âgée raconte à Sarah, en montrant le livre d’anglais sur lequel enseignait son fis, l’accident tragique d’une voiture précipitée de la montagne qui l’a tué. La veuve, une femme affectueuse et gentille, ouverte même à mon égard, m’adresse les attentions d’une mère et toute sa douceur.