Randonnée au Jabal Milhan

La montée au ciel et le cheikh

Image25 avril - Je descends à pied de Manakha, ensuite en voiture jusqu’à Maghraba et là un camion me prend pour arriver à Bajel où j’ai rendez-vous avec Géraldine et Sarah. Je pensais que Bajel se trouvait à une courte distance du col, mais la descente est interminable. Ce que je croyais n'être qu'un village de montagne à l’air frais, est en réalité une grande bourgade de plaine que j’atteins après un voyage d’une bonne heure et demie. Je me retrouve de nouveau dans la chaleur étouffante et brumeuse de la Tihama et j’aurai à attendre ici trois longues heures, parce qu’en appelant Géraldine je viens de apprendre qu’elles sont parties de Sanaa avec du retard.

Entre-temps j’ai demandé des renseignements sur les moyens de transport pour se rendre à Jabal Milhan où nous comptons aller, dans l’espoir de pouvoir me casser d’ici le plus tôt possible, mais ils disent que la voiture partira vers 15h et on aura donc le temps de se retrouver pour partir ensemble. En attendant je vais mijoter dans cette chaleur incroyable... Des nuages de poussière arrivent balayées par une chaleur qui vous fait transpirer même si vous restez immobile à l'ombre, signe que la température doit être proche de 40 degrés. Les objets en métal sont brûlants au toucher.

Je vais au marché pour m’acheter une paire de chaussettes, mais je ne résiste pas longtemps en me promenant. Je retourne au point de départ où se trouvent les jeeps et m’assieds devant la locanda interlope où des mâcheurs de qat sont allongés indolemment sur des sommiers en métal sans matelas, rehaussés au dessus du sol. On m’apporte pour mon confort un coussin et une couverture aussi crasseux l’un que l’autre. Des femmes voilées vont et viennent.

Vers 4 heures l’un des deux jeunes me fait signe comme pour me prévenir d’une nouveauté et en me tournant j’aperçois Géraldine et Sarah avec grand plaisir après cette longue attente. C’est une belle surprise parce que je m’attendais à les voir arriver de l’autre côté ! Les deux filles sont épuisées après le long et inconfortable voyage depuis Sanaa, mais elles m’apportent un souffle de fraîcheur avec leur teint clair, leur tenue de couleurs lumineuses, un joli sourire de bienvenue. Et pas de voile !

Géraldine nous tranquillise sur la précaution qu’elle a prise en nous disant qu'elle a pris quelque chose contre les puces qui parfois infestent les maisons des gens de montagne chez qui nous avons l’intention de loger : elle a un produit spécial. Me voilà parti correspond mieux au recit de voyage pour une nouvelle aventure !

Nous nous mettons d'accord avec le chauffeur, mais on ne part pas avant 17 h. Nous nous attendons à un court trajet, mais j’ai un pressentiment suite à toute la distance parcourue ce matin en descendant du col vers la vallée. Je considère que la distance devra être au moins la même pour remonter à une certaine hauteur, étant donné que nous nous trouvons ici dans la plaine côtière. Nos hypothèses sont bien loin de la réalité.

ImageOn charge dans la benne des sacs de farine. Au dessus sont assis ou demi allongés quelques passagers, tandis que nous occupons le petit coin qui reste à l’extrémité du véhicule. On démarre et nous traversons d’amples espaces de champs jaunis avec de rares acacias – on aurait dit une savane baignée dans la lumière du crépuscule – délimités, au loin, par les contours brumeux de montagnes.

On fait une brève halte dans un village où la foule se rassemble autour du Toyota. Ils sons curieux et surpris de nous voir, autant que nous le sommes d’être dans ce monde nouveau et loin des sentiers battus. Comme le seront tous les autres instants jusqu'à la fin de notre fin de semaine dans les montagnes.

On commence la montée vers la montagne et la voiture s’arrête à une bifurcation. Après une hypothetique discussion dans la cabine, de laquelle nous ne sommes pas témoins, le chauffeur prend une piste rocheuse sur la gauche. La voiture chargée de matériaux et de personnes grimpe, nous avançons tout juste au pas pendant longtemps, en gagnant en hauteur sur des précipices peu rassurants et dans la semi obscurité de la nuit qui commence à tomber. Aussi faible qu’elle soit, la lumière nous permet de distinguer le fond de la vallée qui s’éloigne de plus en plus du bord de la piste, en précipice.

Nous sommes nerveux, mais les autres restent insouciants et se moquent de notre sentiment d'insécurité. Du haut de la benne nous observons le flanc de la montagne tomber à pic vers le fond de la vallée, seule une portion étroite de la route nous sépare de cet abîme, la piste en mauvais état fait balancer le véhicule.

Maintenant la nuit est tombée, et pourtant au clair d’une demi lune on comprend que c’est une sacrée route! On s’arrête après peut-être une demi-heure de montée éreintante pour le moteur qui  a surchauffé et donc il faut le laisser refroidir. Après on repart. Les pentes sont parfois incroyables avec leurs fortes inclinaisons et la voiture cahote sans cesse.

Nous sommes coincés entre la roue de secours et les sacs. Une corde tendue délimite et retient le chargement dans la première moitié de la benne, mais si celle-ci venait à rompre, elle ferait s'ecrouler les marchandises et les hommes sur nous qui sommes au bord.

Quelqu’un annonce qu’on arrivera à 22h ou même plus tard, mais nous considerons la nouvelle comme une plaisanterie. Ils nous ont vus effrayés et ils veulent se moquer de nous. Nouvelle halte de la voiture, le moteur a de nouveau surchauffé, et ça ne m’étonne pas. Au contraire je suis épaté qu’un véhicule, et aussi chargé que cela, soit en mesure de gravir de tels dénivelés.

Pendant cet arrêt Géraldine, un passager et moi, nous nous mettons à marcher sur la pente qui est dans l'obscurité car nous avons l'ombre de la montagne au dessus de nous. Lui, c’est un marchand de qat et il nous demande où nous irons dormir cette nuit, après quoi il nous invite chez lui. Nous gravissons un bon morceau de route et nous nous rendons compte de la hauteur de la pente et de l’état de la chaussée, couverte d’énormes morceaux de pierres disloquées.

Même si la température n'est plus celle de la plaine, nous transpirons dans la chaleur moite et sans vent de la nuit. La voiture nous récupère plus haut après quelques tournants fatigants et le temps tourne. Nous nous rendons alors compte que l'heure annoncée n'était pas du tout une plaisanterie.

A un moment donné on nous invite à descendre parce que le moteur ne tient plus. Il faut marcher et c'est ce que nous faisons pendant au moins une bonne demi-heure, ensuite nous remontons à bord, mais on voit déjà les nombreuses maisons de Beni Hajjaj bien éclairée, à l'inverse de beaucoup de villages qu'on nous avait signalé le long de la route, mais sans électricité et sans visage pendant la nuit. C’est la richesse du qat, on se trouve dans son royaume.

Au village il faut décider si on va continuer la route et donc accepter l'invitation de ce jeune homme qui habite encore plus haut dans la montagne, ou s'arrêter ici. La fatigue de cinq heures de voiture dans la benne, l'heure tardive, mais peut-être surtout le désir de ne pas trop défier le destin sur cette route du diable nous font choisir de rester. On nous dit d'aller chez le cheikh qui nous hébergera pour la nuit et nous sommes accompagnée jusqu'à son imposante maison-tour en pierre. Nous sommes introduits par la porte basse, ensuite par de passages tordus qui débouchent sur un escalier étroit et aux marches irrégulières.

Sans que je m'y sois préparé, je me trouve tout à coup dans le mafraj où une douzaine d'hommes abrutis par le qat n'arrêtent pas de mâcher sans se dire grand-chose. Sur la parois à une extrémité trônent deux énormes affiches identiques sur lesquelles figure le portrait du président, au centre de la pièce tout en longueur domine un narguilé gigantesque, d’où sort un gros et long tuyau doublé de velours rouge foncé qui comme un serpent s'enroule et délivre de la fumée à chacun des convives à tour de rôle.

Un étrange personnage avec une barbiche blanche touffue au bout du menton, tout en restant allongé sur son coussin à l'extrémité de la pièce, tente maladroitement de fermer les boutons de sa chemise à cause de la présence des filles, mais ses mouvements engourdis n'atteignent pas le but et il se contente de superposer les deux pans de sa chemise. Un homme très âgé, que je crois être le cheikh au début, regarde d'un œil un peu absent et se fait répéter quelques phrases que nous prononçons. A l'autre bout sont rassemblés tous les jeunes. Les joues de tous sont gonflées de feuilles.

La moquette verte plutôt sale est parsemée de feuilles et de brindilles pelées, le poste de télé est allumé, mais personne ne semble suivre. On nous pose des questions diverses et variées, mais elles ne donnent même pas lieu à une conversation que l'on pourrait appeler de courtoisie. L'atmosphère qui règne semble suspendue dans le temps dilué et irréel de leur esprit brumeux, dans la fumée de tabac, dans la fatigue de nos corps, dans la nuit de cette montagne.

On dirait la cour d'un seigneur féodal, à l'ombre de l'effigie du roi pendue à la parois. Le cheikh est l'homme fort de la zone.

Avant de m'asseoir je fais le tour de la pièce en serrant la main à tous. Bientôt les filles sont introduites dans les quartiers des femmes, pendant que je reste à répondre à quelques questions supplémentaires et à échanger des regards curieux avec les présents, passant en revue tous les personnages étalés devant moi.

On me fait finalement monter à un mafraj à l'étage accompagné par le cheikh. On nous apporte des choses à manger, mais nous ne tardons pas à nous coucher, d'autant plus que demain nous avons un programme de marche à suivre. Il n'y a pas d'eau courante dans la salle de bain, mais un bidon; nous avons des matelas à mème le sol et nous nous sentons bien logés dans cette belle pièce aux parois décorées et pleine d'armes blanches et à feu.


Image26 avril – Nous nous réveillons avec un beau soleil qui inonde la vallée et nous apprécions le panorama dont on jouit depuis le toit, du haut de la montagne sur les routes difficiles qui nous ont permis d'arriver jusqu'ici. Juste au moment où je tripotais les bibelots accrochés au mur, apparaît le cheikh qui en peu de mots nous souhaite le bonjour. Je reste avec une épée dans les mains et je cherche en vain à la raccrocher à son support, mais tout en essayant je fais glisser de son cadre la photo du jeune président derrière le rideau qui sépare la salle de bain.

On nous avait déjà offert une espèce de pain frit savoureux, bien que gras, mais peu après on nous apporte le véritable petit-déjeuner et la pièce se remplit d’hommes. Nous goûtons à quelques petites choses juste pour faire plaisir, après quoi nous prenons congé et nous nous mettons en route.

Dans ce village aussi nous sommes tout de suite au centre de l’attention et un petit cortège se regroupe atour de nous et nous suit curieux. Nous montons par la montagne stupéfaits par la beauté du paysage naturel qui dans les terrasses minutieusement réalisées révèle une présence active de l’homme depuis des temps immémoriales. C’est un jardin d’une élégance unique.

Au fond s’élèvent les sommets aigus en dent de scie et nous devrons atteindre un haut col au dessus de nous pour enjamber dans la vallée à côté. Nous marchons avec un groupe d’hommes entre lesquels un garçon aux yeux vifs et intelligents qui fait retour à son village après avoir vendu son qat au marché. Il parcourt ce chemin, tout à pied, deux ou trois fois par semaine en partant bien avant l’aube. Nous nous arrêtons pour boire d’un tuyau qui fait descendre l’eau d’une source et la porte au village.

ImageUne fois arrivés presque au sommet, quelqu’un nous aperçoit et attend avec impatience notre arrivée. On entend dire : « Ce sont deux étrangers ! Non, trois ! », tel un cri d’avertissement pour la grande nouveauté. Nombre de personnes se rassemble et nous attend arriver, ensuite ils se serrent contre nous, nous invitent plusieurs fois à rentrer dans une des maisons pour boire du thé.

Les fenêtres de cette pièce semblent suspendues sur le vide. On nous apporte à manger même si nous n’avons pas faim, mais nous profitons pour avoir de l’énergie en plus. Nous laissons des raisins secs en remerciement. Nous reprenons la marche et montons encore plus haut. Nous sommes près de toucher les nuages, nous dominons de cette crête de superbes panoramas sur différentes vallée. Les versants sont très raides, mais ceci n’a pas empêché l’exploitation soigneuse de chaque centimètre de terre.

Le temps se gâte quand nous commençons à descendre sur l’autre versant. On nous invite à temporiser dans une maison pour attendre la pluie. Nous sommes perplexes et déjà quelques gouttes tombent, mais nous continuons quand même. La pluie devient intense. Nous retournons sur nos pas pour retrouver un rocher saillant providentiel et nous nous abritons au dessous de lui. Il grêle et il fait froid. Les nuages inondent le ciel, remontent le versant de la montagne qui donne vers la mer, sont envoyés vers le haut, s’élèvent en colonnes d’humidité sombre qui forme des tourbillons, retombent comme des vapeurs diaphanes de notre côté. En l’espace d’une demi-heure cependant le temps est à nouveau propice pour la marche.

ImageA un des villages suivants nous retrouvons le garçon de ce matin. Il dit qu’il nous attendait. Il nous invite chez lui, mais c’est trop près et bas dans la vallée pour faire halte là-bas. Nous préférons profiter de sa parfaite connaissance de la zone pour nous faire donner des renseignements sur la continuation de notre randonnée. Il nous accompagne à une fourche et nous indique le chemin. Pendant la marche il me pose des questions intelligentes et curieuses sur mon pays, entonnées dans l’accent sympathique de cet arabe de montagne.

Nous poursuivons la marche à travers une vallée moins spectaculaire que la première, en coupant à mi-hauteur. Nous rencontrons une jeune paysanne qui se défoule avec nous en se plaignant de sa rude vie et de son mari émigré en Arabie Saoudite.

Au coucher du soleil nous marchons toujours et ne savons pas si nous allons continuer ou chercher abri pour la nuit. Un homme nous invite chez lui. Nous hésitons, puis poursuivons un bout. L’homme nous suit discrètement et réitère son invitation : étant donné que le soleil est descendu nous acceptons. On nous ouvre une pièce dépouillée avec un sol en ciment, deux petites fenêtres et le plafond en roseaux tressés. Il jette deux minces matelas par terre et nous apportes quelques couvertures à l’aspect crasseux. Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau, ni de salle de bain.

La nouvelle de notre arrivée se répand entre le très petit nombre de maisons du hameau et tous entrent pour nous voir. Je compte 35 personnes, bondées les unes contre les autres, assises pour admirer la nouveauté de ces étrangers venus dans un village qui n’en a peut-être jamais vu même de passage ; des étrangers hagards d’une journée de marche et incertains sur la façon de réagir devant tant d’intérêt.

Comme si ce n’était pas assez, Sarah nous prévient bientôt de ce qu’elle est en train de subir pendant que Géraldine et moi nous sommes occupés avec un autre groupe de personnes : une paysanne très entreprenante lui palpe insistamment la poitrine et lui adresse des regards intenses. Elle nous dit de lui passer tout de suite la couverture qui, pour sale qu’elle soit, lui permettra de s’envelopper et faire un écran. Empressement on nous apporte du pain et une gamelle avec deux petits poissons submergés dans une huile rougeâtre pour tremper. Ensuite arrive le narguilé et il fument pendant qu’il jouissent de ce changement inattendu dans la routine du village.

Une femme âgée raconte à Sarah, en montrant le livre d’anglais sur lequel enseignait son fis, l’accident tragique d’une voiture précipitée de la montagne qui l’a tué. La veuve, une femme affectueuse et gentille, ouverte même à mon égard, m’adresse les attentions d’une mère et toute sa douceur.


La fuite

Image27 avril - Comme c’était à prévoir, une fois ouverte la porte ce matin, plusieurs enfants se sont précipités à nous observer, ensuite aussi des adultes entre lesquels celui qui devait devenir le cauchemar de la journée. Cet homme, en bafouillant un peu d’anglais, veut nous conduire chez lui ; il veut nous retenir même pour le repas. Nous nous excusons, nous sommes pressés. Sarah doit prendre un avion à 18h à Sanaa.

Nous ne pouvons pas nous permettre de nous attarder et ne pas respecter le tableau de marche. Rien à faire. Il fait preuve d’une insistance aveugle et immotivée sans précédents. Il dit qu’il ne s’agira que d’une halte de one hours, tout en trahissant dans la faute grammaticale sa vraie intention.

Les filles sont agacées, répondent en arabe à ses insistances en anglais, en accentuant encore plus la fracture sur le plan de la communication. Elles ont l’air au bord d’une scène par épuisement, j’essaie de les retenir, car il serait fâcheux de trahir l’hospitalité reçue. Mais l’insistance est inébranlable, n’entend pas de raisons, devient impolitesse ouverte. Nous soupçonnons qu’il s’agit là d’orgueil blessé, surtout de lui devant ses voisins ou bien la pensée que nous puissions éprouver de la crainte à l’égard de ses gens et que cela nous empêche d’accepter ses offres.

Nous n’avons plus de mots, avec des sourires et des poignées de main je suis les filles qui se sont sauvées en avant. Ç’a été un départ aussi hâtif que nous avons même négligé ceux qui nous avaient gentiment accueillis.

Encore le groupe guidé par l’homme qui parle anglais nous suit et continue de crier de monter au village. Nous sommes beaucoup descendus, mais nous entendons encore sa voix crier de rester. Un cauchemar.

Nous réfléchissons longuement entre nous sur l’incident. Nous sommes navrés de ne pas être arrivés à prendre congé dignement de ceux qui nous avaient invités. Mais encore plus je sais que j’ai déçu les attentes de tous, surtout quand un gosse qui descend avec nous me révèle : « Vous n’avez pas été bien chez nous, sinon vous seriez restés... ». Je lui explique clairement la situation, mais il y a un problème culturel à la base, qui touche à la conception du temps, du rendez-vous, de l’empressement, de l’hospitalité, même le concept inconnu d’une randonnée à la montagne...

Nous descendons jusqu’aux trois maisons de Riché et de là nous poursuivons la marche dans le fond de la vallée qui baisse constamment vers une chaleur et un soleil de plus en plus intenses. Nous arrivons éreintés et assoiffés à un village que nous croyons être le début de la route asphaltée. Mais ce n’est pas encore lui. Nous devons quand même nous arrêter et boire à l’ombre. Pendant que nous nous reposons quelques visages se montrent aux fenêtres et nous invitent à nous approcher des maisons.

Une femme avenante aux beaux traits, le nez parfait, les yeux noirs de jais et un voile sur la tête nous fait assoire au seuil de sa maison. Pour elle il est impossible d’accueillir à l’intérieur un homme étranger, mais nous sommes quand même à l’ombre et elle insiste pour que nous mangions. Elle nous apporte, là au-dehors de l’entrée, un excellent repas du vendredi, de riz, mlukhiyye, viande bouillie, roquet et bamia, un vrai banquet. Ce faisant elle parle de l’intérieur de la maison et adresse aux filles aussi des questions sur moi, auxquelles je répond directement.

ImageNous réfléchissons sur la beauté se ce geste profondément hospitalier, alors que dans nos pays l’individualisme moderne relègue l’homme à vivre presque exclusivement pour soi-même. N’importe qui en Europe aurait peur de s’exposer au risque du ridicule ou du jugement des autres en se montrant aussi spontané et attentif aux exigences de son voisin, ou bien il ferait appel à un vague sentiment de danger à l’heure d’accueillir un inconnu de la rue. Au contraire ici accueillir est un devoir et en même temps une honneur.

Chez nous beaucoup jaugeraient la charge monétaire, non pas parce que tout le monde est radin en Europe, mais parce que nous avons tendance à mesurer notre valeur en tant que personnes et même nos sentiments moyennant l’argent. Si quelqu’un me trompe et me roule de l’argent, il porte atteinte à mon honneur ; si je gagne moins que toi, je me sens inférieur ; plus de richesse j’arrive à étaler, plus j’affirme ma position sociale ; si j’ai gagné en bourse, j’ai réalisé moi-même ; si j’ai fait une mauvaise affaire, je suis déçu... Nous ne comprenons pas qu’en fin de comptes ce n’est que de l’argent, que de l’argent, rien par rapport à la vie !

Nous prenons une voiture pour Hanake et atteignons la route goudronnée. Pendant que nous attendons le transport pour Mahwit les enfants, ils doivent être au moins 15 plus ou moins grands, se mettent en rang assis devant nous pour nous observer, sans se lasser.

Le voyage pour Mahwit, nous le faisons dans la benne pour admirer le plus possible les paysages vastes et immenses que l’on devise en voyageant d’une crête à l’autre. Avant d’arriver au bout du long déplacement il se met à pleuvoir des cordes. Nous devons entrer dans la cabine en nous serrant et par la suite nous rentrons aussi les sacs à dos déjà trempés pour ne pas abîmer les papiers.

Nous prenons une voiture pour Sanaa. Sarah n’a plus d’espoir de prendre son avion se soir. Je sors mon sac de couchage et nous nous lovons à la recherche d’un peu de chaleur, vu que nous sommes mouillés et refroidis.

Je descends à Tawila et laisse continuer les filles. Je prends une chambre dans l’hôtel basique avec salle de bain sans eau courante, mais par rapport à hier soir il y en a un et je me lave autant que je peux avec l’eau froide d’une casserole.