Randonnée au Jabal Milhan

La fuite

Image27 avril - Comme c’était à prévoir, une fois ouverte la porte ce matin, plusieurs enfants se sont précipités à nous observer, ensuite aussi des adultes entre lesquels celui qui devait devenir le cauchemar de la journée. Cet homme, en bafouillant un peu d’anglais, veut nous conduire chez lui ; il veut nous retenir même pour le repas. Nous nous excusons, nous sommes pressés. Sarah doit prendre un avion à 18h à Sanaa.

Nous ne pouvons pas nous permettre de nous attarder et ne pas respecter le tableau de marche. Rien à faire. Il fait preuve d’une insistance aveugle et immotivée sans précédents. Il dit qu’il ne s’agira que d’une halte de one hours, tout en trahissant dans la faute grammaticale sa vraie intention.

Les filles sont agacées, répondent en arabe à ses insistances en anglais, en accentuant encore plus la fracture sur le plan de la communication. Elles ont l’air au bord d’une scène par épuisement, j’essaie de les retenir, car il serait fâcheux de trahir l’hospitalité reçue. Mais l’insistance est inébranlable, n’entend pas de raisons, devient impolitesse ouverte. Nous soupçonnons qu’il s’agit là d’orgueil blessé, surtout de lui devant ses voisins ou bien la pensée que nous puissions éprouver de la crainte à l’égard de ses gens et que cela nous empêche d’accepter ses offres.

Nous n’avons plus de mots, avec des sourires et des poignées de main je suis les filles qui se sont sauvées en avant. Ç’a été un départ aussi hâtif que nous avons même négligé ceux qui nous avaient gentiment accueillis.

Encore le groupe guidé par l’homme qui parle anglais nous suit et continue de crier de monter au village. Nous sommes beaucoup descendus, mais nous entendons encore sa voix crier de rester. Un cauchemar.

Nous réfléchissons longuement entre nous sur l’incident. Nous sommes navrés de ne pas être arrivés à prendre congé dignement de ceux qui nous avaient invités. Mais encore plus je sais que j’ai déçu les attentes de tous, surtout quand un gosse qui descend avec nous me révèle : « Vous n’avez pas été bien chez nous, sinon vous seriez restés... ». Je lui explique clairement la situation, mais il y a un problème culturel à la base, qui touche à la conception du temps, du rendez-vous, de l’empressement, de l’hospitalité, même le concept inconnu d’une randonnée à la montagne...

Nous descendons jusqu’aux trois maisons de Riché et de là nous poursuivons la marche dans le fond de la vallée qui baisse constamment vers une chaleur et un soleil de plus en plus intenses. Nous arrivons éreintés et assoiffés à un village que nous croyons être le début de la route asphaltée. Mais ce n’est pas encore lui. Nous devons quand même nous arrêter et boire à l’ombre. Pendant que nous nous reposons quelques visages se montrent aux fenêtres et nous invitent à nous approcher des maisons.

Une femme avenante aux beaux traits, le nez parfait, les yeux noirs de jais et un voile sur la tête nous fait assoire au seuil de sa maison. Pour elle il est impossible d’accueillir à l’intérieur un homme étranger, mais nous sommes quand même à l’ombre et elle insiste pour que nous mangions. Elle nous apporte, là au-dehors de l’entrée, un excellent repas du vendredi, de riz, mlukhiyye, viande bouillie, roquet et bamia, un vrai banquet. Ce faisant elle parle de l’intérieur de la maison et adresse aux filles aussi des questions sur moi, auxquelles je répond directement.

ImageNous réfléchissons sur la beauté se ce geste profondément hospitalier, alors que dans nos pays l’individualisme moderne relègue l’homme à vivre presque exclusivement pour soi-même. N’importe qui en Europe aurait peur de s’exposer au risque du ridicule ou du jugement des autres en se montrant aussi spontané et attentif aux exigences de son voisin, ou bien il ferait appel à un vague sentiment de danger à l’heure d’accueillir un inconnu de la rue. Au contraire ici accueillir est un devoir et en même temps une honneur.

Chez nous beaucoup jaugeraient la charge monétaire, non pas parce que tout le monde est radin en Europe, mais parce que nous avons tendance à mesurer notre valeur en tant que personnes et même nos sentiments moyennant l’argent. Si quelqu’un me trompe et me roule de l’argent, il porte atteinte à mon honneur ; si je gagne moins que toi, je me sens inférieur ; plus de richesse j’arrive à étaler, plus j’affirme ma position sociale ; si j’ai gagné en bourse, j’ai réalisé moi-même ; si j’ai fait une mauvaise affaire, je suis déçu... Nous ne comprenons pas qu’en fin de comptes ce n’est que de l’argent, que de l’argent, rien par rapport à la vie !

Nous prenons une voiture pour Hanake et atteignons la route goudronnée. Pendant que nous attendons le transport pour Mahwit les enfants, ils doivent être au moins 15 plus ou moins grands, se mettent en rang assis devant nous pour nous observer, sans se lasser.

Le voyage pour Mahwit, nous le faisons dans la benne pour admirer le plus possible les paysages vastes et immenses que l’on devise en voyageant d’une crête à l’autre. Avant d’arriver au bout du long déplacement il se met à pleuvoir des cordes. Nous devons entrer dans la cabine en nous serrant et par la suite nous rentrons aussi les sacs à dos déjà trempés pour ne pas abîmer les papiers.

Nous prenons une voiture pour Sanaa. Sarah n’a plus d’espoir de prendre son avion se soir. Je sors mon sac de couchage et nous nous lovons à la recherche d’un peu de chaleur, vu que nous sommes mouillés et refroidis.

Je descends à Tawila et laisse continuer les filles. Je prends une chambre dans l’hôtel basique avec salle de bain sans eau courante, mais par rapport à hier soir il y en a un et je me lave autant que je peux avec l’eau froide d’une casserole.